Parlons TikTok : Il est temps de mettre le respect au cœur des discussions publiques sur les troubles neurocognitifs.
Certains utilisateurs de TikTok exacerbent la stigmatisation qui entoure les troubles neurocognitifs en ridiculisant les personnes ayant des pertes de mémoire, en les filmant sans leur consentement quand elles sont déstabilisées.
Cet article est initialement paru dans le Toronto Star, le 29 mars 2022 (en anglais). Il vous est communiqué avec l’autorisation du journal.
Des milliards d’utilisateurs de TikTok qui filment des vidéos à l’aide de leur application et les diffusent dans les médias sociaux rédigent des descriptions personnelles habituellement amusantes, parfois éducatives et même fraîchement inspirantes.
Mais, comme c’est le cas pour les autres réseaux en ligne, TikTok a un côté obscur; certains utilisateurs exacerbent la stigmatisation entourant les troubles neurocognitifs en ridiculisant les personnes ayant des pertes de mémoire, en filmant leur désarroi ou leur colère à leur insu ou sans leur consentement. Dans l’une d’elles, une femme vivant avec un trouble neurocognitif a été enregistrée pendant qu’elle essayait en toute sincérité de donner de l’eau à une poupée — au son des ricanements de l’utilisateur de l’application. Le manque de respect dérange. Les nombreux commentaires sont consternants.
Même les clips TikTok bien intentionnés — ceux qui tentent d’illustrer comment la vie avec une personne vivant avec un trouble neurocognitif peut connaitre des hauts et des bas — peuvent réifier la personne et sont généralement filmés et publiés sans son consentement éclairé. Ce comportement viole ses droits, tout en renforçant et en propageant des stéréotypes nuisibles.
Et ce ne sont pas seulement les membres de la famille qui appuient sur le bouton « Enregistrer » et le bouton « Publier ». L’année dernière, CTV News a fait état d’une enquête qui a révélé qu’un préposé aux services de soutien à la personne publiait des photos déshumanisantes de résidents d’établissements de soins de longue durée sur son compte TikTok. Le compte est maintenant privé suite au tollé suscité.
Les vidéos et publications dénigrantes en disent plus sur leur créateur que sur leur sujet. Même après que la COVID-19 nous ait montré les dommages causés par l’âgisme, les caractéristiques de nombreux discours publics sur les troubles neurocognitifs et le vieillissement qui fourmillent dans la culture populaire — livres, actualités, films, séries télévisées — racontent des histoires fondées sur la peur, la confusion et l’ignorance.
En fait, si les personnes reçoivent leur diagnostic plus tôt que tard et ont des réseaux de soutien composés de proches aidants, de membres de leur famille et d’amis, elles peuvent vivre une vie pleine de sens avec la maladie. Au Canada, environ 750 000 personnes ont des pertes de mémoire; ce nombre doublera dans 10 ans. Notre crainte des troubles neurocognitifs est déplacée; la vraie menace, c’est la stigmatisation.
Ceux d’entre nous qui travaillent en tant que défenseurs et chercheurs dans le domaine déplorent ces représentations méchantes, contraires à l’éthique et mal informées. Nous plaidons en faveur d’un nouveau récit sur les troubles neurocognitifs; un récit qui comprend des conversations publiques qui incluent la voix des personnes touchées.
Il ne s’agit pas d’édulcorer les problèmes, mais de remettre en question les stéréotypes et les préjugés qui visent à réduire à un simple diagnostic l’identité et les contributions des personnes vivant avec un trouble neurocognitif, plutôt que de les décrire dans toute leur complexité.
Depuis trente ans, la Société Alzheimer du Canada finance des projets de recherche spécifiquement axés sur l’amélioration de la qualité de vie des personnes vivant avec un trouble neurocognitif et la promotion des arts pour aider les gens à s’épanouir en misant sur les forces et l’engagement au sein de leurs communautés.
La Société a soutenu le lancement initial des chorales intergénérationnelles Voices in Motion; ce programme célèbre le plein potentiel de la vie avec un trouble neurocognitif en établissant des liens entre la musique, les aînés, les jeunes et un objectif jovial. Lors des concerts très fréquentés, le public est souvent surpris de ne pas pouvoir faire la différence entre une personne vivant avec un trouble neurocognitif et une qui ne l’est pas.
Un groupe de recherche de l’Université de la Colombie-Britannique vient de lancer un site Web, FlippingStigma.com. Il revient aux personnes vivant avec un trouble neurocognitif de partager des ressources permettant d’identifier la stigmatisation et sur ce qu’il convient d’y faire pour changer les idées fausses qui circulent dans la société sur les pertes de mémoire.
Si les Canadiens sont prêts à soutenir cette nouvelle vague de recherche sur les troubles neurocognitifs et le nombre croissant de personnes qu’elle vise à servir, il est alors possible d’abandonner la logique du déclin continu, du fardeau des proches aidants et de la peur du public. Nous commencerons alors à constater les contributions, la joie et l’amour dans la vie des personnes ayant des pertes de mémoire et dans celle des membres de leur famille.
Debra Sheets est professeure de sciences infirmières à l’Université de Victoria et chercheuse au Institute on Aging and Lifelong Health à l’Université de Victoria. Elle est co-fondatrice de Voices in Motion et animatrice du balado Call to Mind. Jim Mann, qui vit avec un trouble neurocognitif, est un défenseur de la cause basé à Vancouver. La Dre Saskia Sivananthan est une neuroscientifique basée à Toronto qui supervise le travail relatif à la mission fondamentale de la Société Alzheimer du Canada.